Ali ou le parcours d’un immigré

Ali ou le parcours d’un immigré

Il préfère qu’on dise de lui qu’il est bientôt à la retraite plutôt qu’actif à la recherche d’un emploi. Ali a 57 ans et demi, il tient à ce « demi » car il compte les mois qui le séparent de la retraite. En 1973, il a 21 ans quand il arrive à Crémieu, dans l’Isère, où il va vivre dans un foyer pour célibataires. Un foyer où vivent Espagnols, Yougoslaves, Algériens… Côté boulot, c’est à Phoenix qu’il travaille, à Pont de Cheruy, dans le même département. En 1976, il s’installe dans un deux pièces, puis dans un appartement plus grand afin d’accueillir sa femme, qu’il épouse en 1974. Quand on lui demande s’il se considère chez lui à son arrivée, il répond : « Non car je ne comptais rester que deux ans. Je n’imaginais pas faire ma vie ici. » Pourtant, il reste travailler pour aider sa famille au Maroc. Lorsque sa femme le rejoint et que naissent leurs cinq enfants, il se sent plus à l’aise. « Je me considérais encore immigré, même en m’étant installé définitivement mais il y avait cette envie d’intégration. » En 1998, il va prendre la nationalité française. « C’était pour être rassuré. Je vivais en France et c’était aussi un pas de plus pour être intégré. » Il sourit et ajoute : « J’ai un sentiment d’intégration totale mais j’ai toujours une pensée pour mon pays natal. Le corps est en France parce que mes enfants vivent ici mais ma tête est là-bas, bien que mes parents soient décédés. »

Une vie marocaine

Né à Matine Ouled Ben Ali, près de Ahermoumou (région de Fez), dans une famille pauvre, il vit au milieu de 4 frères et 5 soeurs. « J’ai été jusqu’au certificat d’études que j’ai passé à El Menzel. Malheureusement, je n’ai pas pu aller plus loin. Je voulais poursuivre mes études à Taza, mais on n’y avait pas de famille et surtout pas les moyens de louer un logement. » Il se résigne et laisse de côté l’école. A 15 ans, il essaie de se rendre utile auprès de ses voisins. « Parfois c’était gratuit et parfois on me payait. » Puis, il quitte la région et s’en va à Casablanca. « Là-bas, c’était très dur au début, je me sentais seul parce que ma famille était loin. C’est dans des situations comme celles-ci qu’on se rend compte qu’elle est importante. » Il débute dans une entreprise de textile et il raconte une anecdote qui le fait rire : « A 17 ans, j’ai été arrêté par la police. Je n’avais pas encore ma carte nationale. Donc je suis resté trois jours en prison jusqu’à ce qu’un ami ramène mes papiers d’identité. » Après 14 mois, il décide d’aller plus au sud, à Agadir. Son travail y est difficile et pénible. « Il fallait creuser des tranchées, de près de deux mètres de profondeur ! Comme j’étais petit, je n’arrivais pas à envoyer le sable hors des tranchées. Je voyais les plus costauds terminer avant moi et rentrer chez eux. Je les enviais. » Puis, il se détourne complètement des chantiers pour travailler dans une pépinière. Il enchaine ainsi les postes jusqu’au jour où son cousin lui envoie une convocation pour venir travailler en France. « A l’époque j’avais 21 ans et j’étais conducteur d’engins. C’est mon père, Allah i rahmo, qui est venu depuis Ahermoumou, pour m’annoncer la nouvelle. On a été ensemble à Casa afin que je puisse passer ma visite médicale. J’ai donc démissionné de mon poste. » Malheureusement, les formalités administratives lui font perdre du temps et le patron français change d’avis. « Je ne savais pas quoi faire, je n’avais plus de travail et je me retrouvais sans rien. J’ai été voir un ami qui travaillait à l’immigration. » Sa démarche est payante et il décroche un contrat avec une entreprise française. La destination finale sera la région Rhône Alpes. « Nous étions trois à partir depuis la gare de Casa et on nous avait donné un morceau de pain et une boite de conserve ! »

Bonjour la France

A son arrivée, c’est le délégué du personnel qui vient chercher Ali à la gare. « Il m’a emmené à l’usine et au restaurant d’entreprise. A l’époque, il n’y avait pas la question de manger halal ou pas. Avec le voyage et la fatigue, j’avais juste envie de prendre des forces. » La vie d’ouvrier immigré débute avec la routine et les retours au Maroc chaque été. « Quand ma femme est arrivée en France avec mes deux premiers enfants, il y a eu du changement, je ne vivais plus seul ! Et au fil des années, on apprenait à nos enfants leurs origines en parlant en dialecte marocain, en cuisinant marocain…On faisait tout comme là bas. » Aujourd’hui son bilan est positif, il a fait construire deux maisons au Maroc, a acquis un terrain d’oliviers et a acheté son appartement en France. Sa plus grande fierté ? Il répond avec le sourire : « J’ai aidé ma famille au mieux et je le fais encore. J’ai gardé les valeurs de mes parents : le respect, la droiture. » Ces valeurs, il les a transmises à ses enfants et à sa petite fille. Il regrette que certains jeunes n’aient pas cette façon de penser. « Ils sont souvent pressés et fainéants. Moi j’ai travaillé dans la même entreprise puis j’ai été licencié à cause d’une délocalisation. Par la suite, j’ai fait de l’intérim et je cherche du travail actuellement. » La voix s’éteint et on sent Ali regretter l’époque Phoenix. « Si je devais donner un conseil à ces jeunes, ce serait de rester calme et de penser à l’avenir sans oublier d’où ils viennent. » Selon lui, ils ont pour obligation d’écouter les anciens car ils ont plus d’expérience. Sa dernière recommandation : « Qu’ils réfléchissent à deux fois avant d’agir et qu’ils respectent ce pays même si parfois on doit faire face à des situations injustes. A notre arrivée, ce n’était qu’une terre d’accueil. »

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